Le goût amer de l’abîme

ROMAN – Dès 15 ans et plus **
De Neal SHUTERMAN
traduit de l’anglais (USA) par Lilas NORD
Éditions Nathan – 16.95 €

« Ce livre n’est pas une œuvre de fiction » précise l’écrivain. Il a voulu évoquer la plongée hors du temps et de soi
vécue par son fils schizophrène. Celui-ci ayant fini, comme le héros CADEN, par connaître une rémission durable de
sa maladie mentale, a participé à la genèse de l’ouvrage…

Le texte reflète chronologiquement avec exactitude l’évolution des symptômes cliniquement reconnus et qui apparaissent entre 15 et 30 ans. Sont donc décrits les délires, hallucinations, voix qui envahissent la pensée et se substituent progressivement au réel. Les faits, paroles, objets vus sont autant de points de départ d’une déroute incontrôlable et d’analyses gauchies. Inexorablement vient l’internement en hôpital psychiatrique tant l’inadaptation à la vie courante, le repli social et l’incapacité à agir mettent en danger le malade et pèsent à l’entourage. Cette description est évidemment poignante et rebutera certains lecteurs.

Deux rédactions parallèles alternent jusqu’à la fin du livre : d’une part des propos fondés sur des associations plus ou moins cohérentes entrecoupées d’éléments de la vraie vie ; d’autre part la narration d’une « aventure » totalement fictive mais hautement symbolique de l’enfermement intérieur et de la peur d’être persécuté.

CADEN croit voguer sur un navire en compagnie d’autres personnages dont un capitaine et son perroquet aux décisions arbitraires incompréhensibles auxquelles il faut pourtant obéir.
Abruti par les médicaments l’adolescent brille cependant par éclairs. Des saillies intelligentes, sa compréhension d’autrui apparaissent en thérapie de groupe.

Le but de l’auteur est pleinement atteint lorsqu’après avoir tourné les pages, comme en apnée, le lecteur partage la bouffée d’espérance finale. Le voile de l’incompréhension est déchiré par ce témoignage émouvant qui nous apprend à respecter ceux que la peur nous fait rejeter de prime abord.